Paul Gavarni (4)

« C’était l’âge des bals masqués, » dit. M. de Chennevières. « A l’Opéra et au Théâtre de la Renaissance, les débardeurs et les chicards de Gavarni faisaient rage. Chaque matin le Charivari collait aux vitrines de Martinet de nouveaux travestissements de la plus gracieuse et de la plus étrange fantaisie, et d’adorables coquineries de lorettes et d’étudiants dans des scènes de carnaval, de coulisses, de mansardes et de cabinets particuliers. Et quelle verve juvénile et amoureuse dans les tètes charmantes, dans les mouvements souples et capricieux de ces fines créatures endiablées de plaisir et gâtées jusqu’aux moelles ! Nous étions tous alors fous de Gavarni, fous de son crayon, fous de ses légendes, comme bientôt après l’on devint fou de Musset. »

A cette époque, Gavarni est aussi très occupé à des travaux pour la librairie, illustrant Les Français peints par eux-mêmes, Le Juif errant, les petites Physiologies, Le Diable à Paris ; Mais dans ce dernier ouvrage il y a plus que de simples vignettes : c’est la continuation de son Œuvre , de la Comédie contemporaine, avec la seule différence que les sujets sont gravés sur bois au lieu d’être lithographiés. Il donne à la Revue Musicale les suites si drôles des Musiciens comiques et des Physionomies de chanteurs. Il compose les cent sujets de La Correctionnelle. Il dessine les portraits de ses amis et le sien, des titres de morceaux de musique, mille pièces de tout genre. Et il ne renonce pas aux images de modes : il fait, dans le Charivari, aux vêtements du fameux tailleur Humann, une réclame persistante. Humann, lui, déclare à qui veut l’entendre qu’il n’y a qu’un seul homme qui sache faire un habit noir, et que cet homme est Gavarni. Gavarni : Autoportrait à la cigaretteCet assemblage d’art, de littérature et de dandysme est le point très original de la personnalité de Gavarni. Voulez-vous le voir artiste ? regardez son portrait à la cigarette, dans un élégant négligé d’atelier. Voulez-vous le voir gravure de modes ? regardez-le tel qu’il s’est représenté, cambré et pincé dans son frac, en cette lithographie, L’Homme du monde au foyer de l’Opéra, qui est un modèle pour les tailleurs. Il fut la distinction même, donnant la distinction à tout ce qui est passé par son crayon ou sa plume : restant distingué en employant toutes les langues vertes, il a rendu littéraire, et cela sans l’atténuer, jusqu’à « l’engueulement » du bal masqué.

Si jamais homme parut fait pour vivre indéfiniment de la vie de garçon, c’est Gavarni : pourtant il se maria (en décembre 1844, avec Mlle de Bonabry). Il quitta l’appartement qu’il occupait au n° 1 de la rue Fontaine-Saint-Georges et acheta au Point-du-Jour une maison avec un grand jardin et une terrasse regardant la Seine. L’arrangement de ce jardin devint chez lui une passion. « Ah ! ce jardin, cet étonnant jardin d’Auteuil, le gouffre aux écus de celui qui l’avait dessiné et redessiné vingt fois, et qui l’avait planté et déplanté et replanté des essences d’arbres les plus rares et les plus ruineuses, ce jardin qu’il remaniait par un bout quand il croyait l’avoir terminé par l’autre, et où les mamelons, par des caprices continuels, succédaient aux vallées, et les vallées aux mamelons, et chacun sait ce que coûtent les sueurs des terrassiers et les allées et venues de leurs brouettes. C’est dans ces pelletées de terre incessamment remuée que se sont enfouis tous les gains de Gavarni durant la longue période de son séjour d’Auteuil ; ç’a été son vrai bonheur, mais il l’a bien payé. » (6)

En décembre 1847, Gavarni partait pour l’Angleterre , « avec du noir dans les idées et le souci d’affaires qui faisaient, de son voyage un exil de France pour quelque temps ». Il pensait ne demeurer en Angleterre que quelques semaines. Il y resta près de quatre ans.

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