Les frères Johannot
Gravure d’après un dessin de Tony Johannot
Par Henri Beraldi
JOHANNOT (Charles), 1798-1825. L’aîné des trois frères Johannot.
Leur père, François Johannot, était un manufacturier français établi en Allemagne : à Offenbach-sur-le-Mein. C’est là que sont nés Charles, Alfred et Tony. Ils vinrent en France en 1806 avec leur père, qui passe pour avoir tenté d’introduire alors chez nous la lithographie. Vers la même époque François Johannot fut nommé inspecteur de la librairie à Hambourg ; plus tard, à Lyon. La chute de l’Empire lui ayant fait perdre sa position, il se fixa à Saint-Maur en 1817, avec sa famille, réduite, dit-on, à vivre du travail du fils aîné comme graveur.
La popularité que les vignettes de Tony donnèrent depuis au nom de Johannot ne doit pas nous faire illusion : les trois frères n’eurent, sous la Restauration, aucune importance, et ne sortirent point des besognes subalternes de graveurs.
Charles Johannot n’eut d’ailleurs pas le temps de beaucoup produire, il mourut poitrinaire à trente-sept ans, en 1825.
JOHANNOT (Alfred), frère du précédent, né en 1800, mort à Paris en 1837, graveur, puis peintre ; entre temps, dessinateur de vignettes.
Son œuvre de graveur est peu de chose. Travaillant pour vivre, il fallait accepter toutes les besognes, jusqu’à des images de confiseur. Mais, vers 1830 vinrent des jours meilleurs.
Il a produit relativement peu d’illustrations, ayant été absorbé par la peinture. D’ailleurs il est mort à trente-sept ans (au même âge que Charles), emporté par la phtisie. Son œuvre de vignettiste ne nous apparaît que comme un appendice à l’œuvre de Tony. Les deux frères, du reste, ont presque toujours travaillé côte à côte aux mêmes séries. Inutile donc de chercher à les envisager isolément. Ce serait aussi impossible que de séparer leurs portraits sur l’intéressante lithographie où Gigoux a voulu les montrer réunis, parce qu’en effet Alfred et Tony furent inséparables, liés par une de ces affections tendres, profondes, touchantes, qui attirent toutes les sympathies. Entre eux, cependant, au physique et au moral, le contraste est complet. Alfred intéresse, Tony plaît. Alfred a l’air « fatal » et « poitrinaire de 1830 » : malheureusement, cette fois, c’est pour de bon. Miné par la maladie, crachant le sang, il est amaigri, triste et songeur. Les excès lui sont défendus. Il est l’homme sage qui sert de Mentor à son frère ; et ce frère, paraît-il, a bon besoin de pareille tutelle. Bien portant, joyeux, souriant, les cheveux bouclés ; un air ouvert qui prévient en sa faveur et dispose les éditeurs aux commandes, Tony est un jeune beau qui a l’expansion, l’amour du plaisir, l’amour de l’amour, qui jette gaiement l’argent par les fenêtres, et il se trouve toujours par hasard quelques femmes pour en attraper la monnaie au vol (1). Après la mort d’Alfred, livré à lui-même et conservant dans le cœur un ineffaçable chagrin, il sera victime de spéculations malheureuses et ne saura rien garder des sommes gagnées par son talent d’illustrateur.
1) Champfleury : Les Vignettes Romantiques.