Iouenn Kerménou
L’homme De Parole
Baz’ a zo brema pell-amzer,
D’ar c’houlz m’ho defoa dennt ar ier.
Il y a de cela bien longtemps,
Quand les poules avaient des dents.
Il y avait un marchand, nommé Jean Kerménou, qui avait gagné une grande fortune. Il avait plusieurs navires sur la mer, et il allait dans les pays lointains avec des marchandises de son pays, qui lui coûtaient peu de chose, et qu’il revendait très avantageusement. Il n’avait qu’un fils, nommé Iouenn, et il désirait le voir devenir marchand et homme de mer, comme lui. Aussi, un jour, lui parla-t-il de la sorte :
— Voici que je me fais vieux, mon fils, et, après avoir beaucoup travaillé, toute ma vie, et m’être donné beaucoup de mal, je voudrais rester enfin tranquille, à la maison, pour attendre la mort, quand il plaira à Dieu de me l’envoyer. Mais, vous, qui êtes jeune et plein de force et de santé, je voudrais vous voir travailler et voyager, comme je l’ai fait, car tout homme, dans ce monde, doit travailler pour vivre. Je vais donc vous donner un navire, chargé de marchandises du pays, que vous irez vendre dans les pays lointains ; vous reviendrez avec une autre cargaison de marchandises étrangères, et apprendrez ainsi le commerce et augmenterez votre avoir.
Iouenn, qui ne désirait rien tant que de quitter la maison de son père et de voyager au loin, entendit ces paroles avec une grande joie. On lui chargea donc un navire de toutes sortes de marchandises et il partit, muni de lettres pour les pays où il se rendait. Les vieux matelots de son père étaient avec lui, et, après une longue navigation, avec toutes sortes de temps, et du bon et du mauvais, il arriva dans une ville dont je ne sais pas le nom. Il présenta les lettres de son père, reçut bon accueil, vendit bien sa cargaison et en fit beaucoup d’argent.
Un jour qu’il se promenait par la ville, il vit un rassemblement de curieux et entendit des aboiements de chiens. Il s’approcha, et fut fort étonné de voir le cadavre d’un homme livré en pâture à un troupeau de chiens. Il demanda ce que cela signifiait, et apprit que cet homme avait beaucoup de dettes, et qu’après sa mort, son corps avait été livré en pâture aux chiens, selon la coutume du pays, à l’égard de ceux qui mouraient insolvables. Iouenn eut pitié de ce pauvre mort et dit :
— Chassez les chiens ; je paierai ses dettes et lui ferai rendre les derniers devoirs.
Extrait des Contes populaires de Basse-Bretagne vol. 1 par F.M. Luzel, 1887
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