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Son cheval se cabra et faillit le désarçonner

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Cheval cabré
— Allons voir ton ami, à moins pourtant que tu ne rougisses de ma compagnie.
— Je serais très-fier certainement.., mais cet ami demeure à Auteuil. Peut-être n’avez-vous pas l’intention d’aller de ce côté?
— Au contraire, c’est précisément vers Auteuil que je comptais diriger aujourd’hui ma promenade.
— C’est que… mon ami est malade, dit Henri de plus en plus décontenancé, et peut-être votre visite…
— Laubespin, interrompit le vieillard avec un accent incisif, avoue qu’il n’est pas aussi facile de mentir qu’on le croit communément.
— Mon oncle, voilà une observation
— Qui fait ton éloge. La torture inutile où tu mets ton esprit depuis un instant pour inventer quelque fable qui te débarrasse de ma personne, atteste que tu es fort novice à mentir. Je t’en fais mon compliment.
— Mais, mon oncle, dit Henri, qui semblait être au supplice, pourquoi vous ferais-je une histoire?
— Le pourquoi, je te le dirai tout à l’heure. Quant à l’histoire, tu me permettras d’y faire à l’instant même une petite variante. Ton ami malade qui habite Auteuil est une amie fort bien portante qui demeure à Madrid.
Laubespin fit un haut-le-corps si violent que son cheval, agacé par cette secousse imprévue, se cabra et faillit le désarçonner.
— Penche-toi donc en avant, morbleu ! C’est le cas ou jamais, lui cria son oncle, qui craignit un instant un accident. Mais la magistrale énergie avec laquelle Henri, sa première émotion passée, réduisit son cheval, eut bientôt rassuré le vieillard.
Outré de voir son secret à la merci du général, mais contraint de ronger sa colère, car le moyen de s’y livrer à l’égard d’un oncle de soixante-cinq ans! Laubespin éprouva un certain soulagement à trouver Soliman sous sa main, et lui administra, sous prétexte de correction, les plus vigoureux coups de cravache que le pauvre animal eût reçus jusqu’alors.
— Mauvais, mauvais! dit M. de Roquefeuille, il faut de la justice en tout, même avec les chevaux. Tu le bats, et c’est toi qui as tort. Soliman n’est pas habitué à ce qu’on exécute sur son dos de pareils sauts de carpe.
— Soliman s’émancipe trop depuis quelque temps, et il a besoin d’être corrigé, répondit Henri d’un ton un peu sec.
— Revenons à notre propos. Je t’ai dit tout à l’heure que ton ami malade qui loge à Auteuil était une amie bien portante qui habite Madrid. Voici comme je m’y prends pour prouver cette assertion : Premièrement, on ne fait pas tous les jours, quatre ou cinq mois durant, le trajet de la rue de la Planche à Auteuil pour voir un ami, fût-il le meilleur et le plus malade des amis : donc c’est à une femme que tu rends visite, et cette femme est une amie, car on ne rend pas de visites à ses ennemis. Deuxièmement, cette amie n’est pas malade; non pas que je veuille prétendre que les femmes malades n’accordent pas des rendez-vous tout comme les autres, mais elles ne choisissent pas pour cela le bois de Boulogne : cette amie, qui fait probablement tous les jours autant de chemin que toi, est donc fort bien portante.

Extrait de Un beau-père, de C. de Bernard, publié dans Les Bons Romans, 1862.

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