Les anthropophages
C’étaient des anthropophages.
Chacune de leurs fêtes se célébrait par d’horribles sacrifices, à la suite desquels on dévorait les cadavres des victimes.
Voici comment ils procédaient à ces horribles festins.
Les victimes ayant les mains liées sur le dos, on leur plantait un couteau dans chaque joue, et on leur en enfonçait un autre sous chaque omoplate. On leur faisait ensuite de nombreuses taillades le long des reins, des jambes et des bras.
On les promenait alors, au bruit des instruments, et au moyen d’une corde qui leur passait à travers le nez.
On achevait enfin de les tuer, on dépeçait leurs corps, on en assaisonnait les morceaux à la noix kolla, et on mangeait avec délices ces exécrables mets.
L’oreille s’accommodait au piment et passait pour une incomparable friandise.
Robert-Robert et ses compagnons virent bien que pareil sort les attendait, et que les cannibales, ayant eu connaissance de leur naufrage sur la côte, s’étaient mis à leur recherche pour ajouter un plat à la partie culinaire de la fête.
Quelque brave que l’on soit, quand la mort se présente sous des formes si lentement atroces, on ne peut l’envisager sans un sentiment d’effroi.
Mais une circonstance que nos captifs ne pouvaient s’expliquer aussi bien, c’était devoir le grand Zamba-Mac-Paounga remuer à chaque instant les lèvres en les regardant, et les saluer du haut de son autel, comme s’il eût voulu leur faire des signes d’intelligence.
Etait-ce encore un rite?
Etait-ce un simple malaise?
L’odeur nauséabonde du baquet sacré semblait en effet l’incommoder beaucoup. Il se pinçait le nez fort souvent, et l’on pouvait penser qu’il n’avait pas l’habitude de ce genre de parfums.
Cependant le chef étant arrivé, après s’être fait longtemps attendre, comme tous les chefs du monde, on commença l’affreuse cérémonie.
Toutes les têtes de prisonniers de distinction mis à mort sous son règne défilèrent processionnellement au bas du siège où il était accroupi.
Elles étaient portées par deux troupes de bourreaux.
Ces porte-têtes exécutèrent en même temps des danses, ou plutôt d’horribles grimaces et d’horribles contorsions.
La musique qui accompagnait leur pantomime consistait dans un bruit sourd et sec produit par le choc de deux cents couteaux dont les instrumentistes frappaient en mesure autant de crânes remplis de thym.
Quand cela fut fait, les onze prisonniers furent ramenés devant le sanglant baquet.
Onze bourreaux s’approchèrent, les saisirent et se mirent en mesure de commencer leurs abominables fonctions.
Déjà les couteaux étaient levés, lorsque le grand Zamba-Mac-Paounga étendit sa longue baguette blanche, en signe de
protection, au-dessus de la tête de chacune des victimes.
Il l’agita ensuite à rencontre de la foule, comme pour ordonner qu’elle se retirât un instant.
Son attitude était imposante, et son geste impérieux.
La foule s’imagina que quelque grave négligence dans les rites préalables avait excité l’ire du grand Zamba.
Elle obéit au commandement de sa divine baguette, avec regret, mais l’âme remplie d’une sainte terreur, et elle s’en alla attendre au dehors qu’il fît connaître ultérieurement sa volonté suprême.
Extrait des Aventures de Robert-Robert par L. Desnoyers, illustré par F. de Courcy, 1839.
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